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Comment la traçabilité transforme t-elle l'industrie de la mode en France ?

Comment la traçabilité transforme t-elle l'industrie de la mode en France ?

 

Écrit par Catherine Lomonaco Membré, Fondatrice de GoTrace

 

Dans le secteur de la mode, la traçabilité désigne la capacité à suivre le parcours d'un produit, depuis l'approvisionnement en matières premières jusqu'à sa fin de vie, en incluant le recyclage et l'upcycling. La mise à disposition de ces informations aux consommateurs s'appelle la transparence, cela leur permet de prendre des décisions d'achat éclairées. La traçabilité est la pierre angulaire de la durabilité. L'importance de la traçabilité dans le secteur de la mode s'est considérablement accrue au cours de cette dernière décennie, en particulier après la tragédie du Rana Plaza, il y a dix ans exactement. Avec la montée en puissance des discussions sur le changement climatique, l'impact environnemental de l'industrie de la mode a été examiné de près. Les consciences se sont éveillées sur les problèmes que peut engendrer celle-ci. Et un peu partout dans le monde, des initiatives fleurissent.  

Mais qu'en est-il de la France ?

 

La France, en route vers la traçabilité

La France ne fait pas exception, les consommateurs français suivent la tendance pour les produits éthiques. Une enquête réalisée en France en 2021 par la Haute Ecole de Conseil en Image et le cabinet Thotaim a révélé que 64% des répondants ont déclaré avoir consommé des articles de mode éthique au cours de l'année. L'étude a également montré que 78% des Français se disent prêts à payer plus cher pour un article de mode éco-conçu, soulignant l'importance d'une communication claire sur les matériaux utilisés et les lieux de production. Dans une enquête GO TRACE de cette année, 94% des consommateurs français préfèrent acheter un vêtement avec une étiquette de traçabilité.  

La France, en tant que leader mondial de la mode, a pris des mesures réglementaires pour renforcer la traçabilité dans le secteur. Les produits textiles doivent se conformer à l'obligation de traçabilité introduite par un décret en avril 2022 sous la loi AGEC (la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire), avec un calendrier de mise en œuvre par phases qui a commencé en janvier dernier et qui doit s'étendre jusqu'en janvier 2025. Cette loi est un exemple de la manière dont le pays s'efforce de rendre les entreprises responsables de l'ensemble du cycle de vie de leurs produits.

 

Comme le souligne Catherine Dauriac, présidente de Fashion Revolution France, "La France est leader en termes de réglementations."
La loi exige que les entreprises soient transparentes et fournissent aux consommateurs des informations sur l'origine géographique des principales étapes de production. Pour les articles vestimentaires, cela inclut le tissage ou le tricotage, la teinture et l'impression, et la confection. Pour les chaussures, il s'agit du piquage, du montage et de la finition.  

C'est une grande avancée.  

 
 

Comme le dit Robby Dubus, responsable du développement chez Textil'IA, "Si une réglementation se met en place, les entreprises sont obligées de s’y soumettre car si elles ne le font pas elles pourraient être obligées de se retirer du marché". Sandra Wielfaert, fondatrice de Fashion That Cares, elle aussi souligne l'impact de cette réglementation, "à partir du moment où la loi s’impose aux entreprises, elles doivent s’y plier. Celles qui ne sont pas directement concernées doivent souvent adresser le sujet par effet de ricochet". Comme le signale Ellie Dahan-Lamort, responsable du plaidoyer et de la communauté à la Fédération de la Mode Circulaire, "La loi AGEC a été un déclencheur pour un bon nombre d'acteurs, qui ont eu des obligations imposées concernant la gestion des invendus, la traçabilité et aussi le calcul de l'impact environnemental de leur production. Cette loi a donc permis une sensibilisation importante des acteurs sur ces sujets-là. Indirectement, elle a aussi participé à la création de la Fédération".

 

Défis à venir

Rendre une chaîne d'approvisionnement plus traçable n'est pas une tâche facile. "Il y a une volonté de changement, mais le rythme de transformation est lent", dit Catherine Dauriac. Malgré le fait que la France soit en avance en termes de réglementation liée à la transparence, des défis demeurent.  
Une traçabilité complète dans la mode est difficile à atteindre en raison de la complexité des chaînes d'approvisionnement réparties dans le monde entier avec potentiellement des milliers de fournisseurs et souvent plusieurs sous-traitants impliqués.  
La collecte de données peut être compliquée non seulement pour cette raison, mais aussi parce que les informations peuvent également être “éparpillées entre plusieurs services” comme le fait remarquer Sophie Frachon, responsable du développement durable et de la RSE à l'Union des Industries Textiles.

 

La mise en œuvre de la traçabilité nécessite des investissements technologiques, des formations et un surcroît de travail pour les entreprises. Cela prend du temps et cela a un coût. Robby Dubus indique que "90% des entreprises textiles françaises sont des TPE et des PME, et n'ont donc pas forcément ni le temps, ni les ressources nécessaires pour mettre en place les actions permettant de répondre à ces réglementations.”   Un problème également pointé du doigt par Sophie Frachon qui dit que "les PME n’ont pas les moyens humains et matériels pour dédier un temps important au sujet de la traçabilité". Il en va de même pour les indépendants et les micro-entreprises, si la plupart d'entre eux ne pensent pas encore à la traçabilité, certains y sont plus sensibles mais "n'ont pas le temps ou les ressources pour cela", selon Sophie Plassart, présidente de la Maison des Arts du Fil.  

La traçabilité peut révéler des problèmes nécessitant des solutions qui peuvent être difficiles à mettre en œuvre et qui peuvent exiger des changements organisationnels, comme l'explique Karine Leclercq Margraff, directrice des partenariats et du marketing chez Crystalchain, qui ajoute qu'une autre difficulté pour certaines entreprises est de "repenser leur façon de travailler". D’après Sandra Wielfaert, "les entreprises ne savent pas par où commencer, le sujet leur semble être une montagne".

 

Lent mais prometteur, de nouvelles initiatives fleurissent

La traçabilité est très importante pour la mode durable, comme le dit si bien Karine Leclercq Margraff, "c'est la nouvelle colonne vertébrale", et le marché le reconnaît. Au cours des dernières années, le célèbre salon Première Vision a inclus une section sur la durabilité et aborde souvent la question de la traçabilité dans son magazine et lors de ses conférences, soulignant son rôle crucial. Le terme apparaît également régulièrement dans la presse, et la dernière fashion week de Paris a marqué un tournant avec des créateurs présentant des matériaux écologiques, ouvrant ainsi la voie à une industrie de la mode plus durable et plus transparente.  
"Nous sommes très souvent interrogés sur les solutions de traçabilité, et nous constatons que c'est un sujet au cœur des préoccupations des entreprises de mode", fait remarquer Sandra Wielfaert. Ainsi, l'industrie de la mode en France assiste à l'éclosion d'initiatives significatives. À mesure que la demande augmente, l'industrie est motivée à innover et à s'adapter.

 
 

D'une part, l'émergence de nouvelles technologies joue un rôle central dans ce développement. Des entreprises comme Crystalchain ou Textil’IA exploitent des solutions basées sur l'IA et la blockchain pour organiser les données et garantir la traçabilité inaltérable des produits, de l'origine à l'utilisateur final. Parallèlement, des initiatives telles que Fairly Made, Clear Fashion et La Belle Empreinte exploitent la technologie pour faire avancer la durabilité et fournir des informations transparentes et éthiques sur la chaîne d'approvisionnement de la mode, donnant aux consommateurs et aux marques des informations fiables. D'autre part, nous assistons à d'autres initiatives notables de la part de divers acteurs de l'industrie textile française.

Un exemple est ce projet pilote, comme l'explique Elise Desrues, adjointe à la direction général de DEFI, qui a été mené par eux dans le cadre du Comité Stratégique de Filière Mode & Luxe et qui a réuni 13 marques avec l'objectif "d'accélérer le déploiement de la traçabilité au sein de la filière, pour permettre aux marques de répondre aux exigences de la réglementation et aux attentes des consommateurs".
Le partenariat entre l'UIT et Textil'IA est un autre exemple. En réponse à une demande de l'UIT pour un outil de traçabilité simple et accessible, compatible avec les PME, Textil'IA développe actuellement un outil numérique pour répondre à la demande. Ce projet de traçabilité, explique Sophie Frachon, “est né d’une volonté des industriels français de valoriser leur production et donc de lui donner de la visibilité, afin que le consommateur sache que le produit qu’il achète a été fabriqué en France".

 

Fabriqué en France

Selon une enquête menée par Opinion Way en 2022, huit Français sur dix estiment que la production française est un gage de qualité. C'est donc aussi ce désir de promouvoir le savoir-faire français qui pousse les entreprises françaises vers la traçabilité, considérant qu'il y a un désir croissant des consommateurs français d'acheter du Made in France.
On observe une tendance à la relocalisation d'une partie de la chaîne d'approvisionnement en France, ainsi qu'un redéveloppement du secteur du lin et du chanvre et une augmentation de la production locale.   Selon une enquête réalisée en 2021 par le GAIN (Global Agricultural Information Network), la France est le troisième plus grand producteur de chanvre industriel au monde et le premier producteur en Europe.

 
 

Aujourd'hui, les 3/4 de la production mondiale de fibres de lin proviennent de l'Europe de l'Ouest, et la France est le leader mondial de sa production. Depuis 2020, trois nouvelles filatures opérationnelles ont été lancées en France et un autre projet est en développement dans le pays, selon l'Alliance du Lin et du Chanvre Européens. De plus en plus de marques mettent en avant leur engagement en faveur de la production française. Par exemple, la marque "1083" promeut ses produits comme étant fabriqués "à moins de 1083 km de chez vous", et "Le Slip Français" déclare sur son site web qu'il collabore avec 29 fabricants partenaires à travers la France. Ce ne sont là que deux exemples parmi de nombreux labels français allant dans cette direction.  
Ces efforts transforment l'industrie de la mode, montrant que le "Made in France" est synonyme de promesse de qualité, d'un mouvement vers la durabilité et d'un engagement envers la traçabilité de la chaîne d'approvisionnement.

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